L’autisme fait-il souffrir ? Est-ce que je souffre de mon autisme ?

L’autisme fait-il souffrir ? Est-ce que je souffre de mon autisme ?

Deux modèles théoriques, le modèle médical d’un côté et les paradigmes de la neurodiversité de l’autre, donnent une réponse à ces questions. Mais avant d’aborder ces réponses, que signifie la souffrance ?

Selon l’académie de médecine, la souffrance est définie comme « un malaise émotionnel, affectif et thymique, plus ou moins intense, personnel à chacun, qui se développe en face d’une douleur ressentie comme non tolérable avec laquelle il s’intrique généralement. » (Académie de Médecine, 2024)

Autrement dit, la souffrance est une perception personnelle, qui a pour cause une douleur et se manifeste de différentes façons avec des intensités variables.

En ce sens, le modèle médical affirme clairement que l’autisme fait souffrir. Cela est même inclus dans les critères du diagnostics.

« Les symptômes cliniques engendrent des difficultés ou de la souffrance significatives au niveau social, occupationnel ou toutes autres sphères du fonctionnement. » (APA, 2013, interprétation libre)

À l’inverse, les paradigmes de la neurodiversité affirment que la souffrance n’est pas causée par l’autisme, mais par un environnement inadapté, qui engendre la souffrance, notamment par la stigmatisation.

Autrement dit, ces modèles imputent la cause de la souffrance à la personne, dans le cas du modèle médical ou au social, dans le cas des paradigmes de la neurodiversité.

Mais est-ce vraiment le cas ? La cause peut-elle être que sociale ou individuelle ? L’acceptation et la reconnaissance de l’autisme peuvent-ils diminuer la souffrance puisque la cause est individuelle ? À l’inverse, un environnement parfaitement accommodant éliminera t’il nécessairement toute la souffrance de la personne autiste puisque la cause est externe à celle-ci ?

Pour ma part, je souffre de mon autisme et l’environnement me fait souffrir parce que je suis autiste.

Je ne crois aucunement qu’il soit possible d’avoir un environnement complètement adapté à mes besoins, à moins que je vive complètement isolé de tous. Cela serait impossible puisque je ne pourrais répondre à tous mes besoins de base, et, même dans ce cas, il resterait des enjeux sensoriels puisqu’il est impossible d’avoir un contrôle parfait, en tout temps, sur la luminosité, les sons, les odeurs, etc.

Ainsi, l’autisme engendre réellement une souffrance, en soi, dont la cause n’est pas l’environnement externe. Mais cette souffrance ne se limite pas seulement à des enjeux sensoriels. L’autisme me fait souffrir chaque fois

  • que je suis blessant dans ma communication,
  • que j’ai des conflits parce que je suis incapable de comprendre le sens des propos d’une personne,
  • que j’échoue à répondre adéquatement à une demande, qui semble pourtant claire et précise,
  • que ma rigidité cognitive m’empêche de m’adapter aux spécificités des situations,
  • que mes intérêts sont plus importants que le bien-être de mes proches,
  • que je fais des crises,
  • etc.

Souhaiterais-je ne plus souffrir de mon autisme ? Évidemment.

Je ne crois pas qu’il existe des personnes qui aiment ou souhaitent souffrir, même au niveau des fétiches sexuels puisque la souffrance implique une douleur intolérable.

Est-ce que je ne voudrais plus être autiste pour éviter cette souffrance ? Non, jamais !

Je ne crois pas qu’en éliminant une partie des personnes celles-ci souffrent moins. De nombreuses études sur le camouflage social démontrent les impacts négatifs de « cacher » ce que nous sommes (Cage et Troxell-Withman, 2019 ; Livingston et al., 2019 ; Bptha et Frost, 2020 ; Bradley et al. 2021 ; Cassidy et al. 2018). Au même titre, les thérapies de conversion ou les lois contre les minorités sexuelles n’ont jamais favorisé l’épanouissement de ces personnes.

Ainsi, la notion de souffrance et le désir de conserver sa neurologique autistique sont deux notions distinctes, qui ne doivent pas être confondues. Il peut exister une interrelation entre ces deux notions, mais aucunement une notion de causalité.

Cela est aussi le cas pour le lien entre l’autisme et le handicap. Il est possible de souffrir sans être handicapé et il est possible d’être autiste sans être handicapé.

En effet, la personne autiste peut être en situation de handicap plutôt qu’être une personne handicapée. Autrement dit, que les limitations qu’elle vit proviennent de l’environnement externe et que cela est circonstancielle. La personne autiste pourrait aussi ne pas être considérée comme une personne handicapée si les difficultés ou limites sont comblées par des accommodations, même si cela ne signifie pas que la personne n’a aucune difficulté ou limite. (Modèle de développement humain – processus de production du handicap, 2010)

Donc, à mon sens, il n’existe aucun problème à affirmer que je souffre de mon autisme. Cela ne signifie aucunement que j’ai un problème, que je veux être guéri ou que je souhaite que mon autisme soit éliminé. Par contre, cela ne signifie pas que je me considère comme une personne handicapée parce que je souffre.

La souffrance n’est que l’expression d’une douleur et il ne devrait jamais y avoir d’enjeu à exprimer celle-ci. Le problème n’est pas la souffrance de la personne, mais le jugement que nous faisons par rapport à l’expression de cette douleur alors que nous devrions être beaucoup plus empathique à cette confidence.

Corrections orthographiques et syntaxes : Claude Filion

Références :

Académie de Médecine, Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine, 2024, https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=souffrance%20f%26oelig%3Btale, consulté le 2 avril 2024.

American Psychiatric Association, Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.), 2013.

Botha M, Frost DM. Extending the minority stress model to understand mental health problems experienced by the autistic population. Soc Ment Health. 2020;10(1):20-34. https://doi.org/10.1177/2156869318804297.

Bradley L, Shaw R, Baron-Cohen S, Cassidy S. Autistic adults’ experiences of camouflaging and its perceived impact on mental health, Autism Adulthood. 2021;3(4):320-329. doi.org/10.1089/aut.2020.0071.

Cage E, Troxell-Whitman Z. Understanding the reasons, contexts and costs of camouflaging for autistic adults. J Autism Dev Disord. 2019;49(5):1899-1911.https://doi.org/10.1007/s10803-018-03878-x.

Cassidy S, Bradley L, Shaw R, Baron-Cohen S. Risk markers for suicidality in autistic adults. Mol Autism. 2018;9(1):42. https://doi.org/10.1186/s13229-018-0226-4.

Livingston LA, Shah P, Happé F. Compensatory strategies below the behavioural surface in autism: A qualitative study. Lancet Psychiatry. 2019;6(9):766-777.

Modèle de développement humain- processus de production du handicap, Réseau international sur le Processus de production du handicap, Québec, 2010, https://ripph.qc.ca/modele-mdh-pph/le-modele/, consulté le 30 avril 2024,